Une philosophie du foisonnement
Célestin Freinet, un éducateur pour notre temps
Michel Barré
Au départ, Freinet n'a encore que des notions imprécises sur la future pédagogie populaire et sur le mouvement nécessaire pour la mettre en oeuvre. Mais ce qui le caractérise déjà est son attitude face au foisonnement des idées et des initiatives.
Sous l'effet du modernisme technique, la tendance la plus répandue consiste à développer ce qui est défini a priori comme efficace et à rejeter comme inutile, voire nuisible ou menaçant, tout ce qui n'entre pas dans les schémas préétablis. Le foisonnement angoisse par la crainte de ne pas savoir le maîtriser. Actuellement, on perçoit mieux les impasses où conduit cette mentalité (gaspillage et saccage des ressources naturelles, répétition des schémas erronés, absence d'inventivité, raréfaction des diversités).
Dans sa classe comme dans son mouvement, Freinet n'a pas cette peur du foisonnement encore non organisé. Il préfère une fécondité excessive à une quasi-stérilité. En ce sens, il a gardé la leçon de la nature non domestiquée : la vie y est toujours synonyme de profusion. Il respecte, suscite même, le foisonnement, estime normal de n'y prélever que ce qui est momentanément utilisable et trouve plus rassurante qu'angoissante l'abondance de vie encore inexploitée. Il n'est pas obsédé par le besoin de canaliser par avance ce qui ne jaillit pas encore, de mettre en oeuvre prématurément des structures qui resteraient peut-être des squelettes vides ou des carcans. A ses yeux, les fluctuations de l'abondance de vie se régulent plus facilement que le dépérissement.