timbre freinet

 

Avant-propos

Avant-propos

Depuis plus de quarante ans, l'unique référence biographique concernant Célestin Freinet reste l'ouvrage d'Elise Freinet : Naissance d'une Pédagogie Populaire publié à Cannes en 1949 par la Coopérative de l'Enseignement Laïc (Ed. de l'Ecole Moderne Française), puis réédité à partir de 1969 chez Maspéro (La Découverte). On sait le rôle important que joua ce livre, témoignage vécu de la compagne qui partagea les espoirs et les angoisses d'un exemplaire combat. Sans les nombreuses citations qu'elle avait réunies, comment les nouveaux militants auraient-ils eu accès à des articles devenus introuvables?

Mais ce n'est pas diminuer les mérites de ce livre que d'en rappeler les intentions et les limites. Elise Freinet a brossé une fresque à la gloire du leader et de ses fidèles compagnons, afin de fédérer toutes les énergies militantes pour les nouveaux combats de l'après-guerre. Ecrit sur la base de ses souvenirs personnels, en s'appuyant sur une collection des circulaires et bulletins du mouvement parus entre 1926 et 1940, son ouvrage évoque moins d'un tiers de la vie de Freinet. S'achevant à la Libération, il ne peut prendre en compte aucun fait, aucun texte ultérieur dont certains éclairent rétrospectivement les périodes précédentes. C'est pourquoi il est nécessaire de le compléter par d'autres apports et d'autres regards.

En 1986, j'ai eu la responsabilité de sauvegarder en catastrophe les archives pédagogiques du mouvement Freinet, du fait de la mise en liquidation judiciaire de sa coopérative, la CEL, et de l'urgente obligation de libérer une grande partie des locaux. Ayant constitué, avec ces archives et les dons d'anciens militants, un important fonds Freinet au Musée National de l'Education, à Rouen, je fus chargé d'y organiser, en 1987-88, la première grande exposition sur Freinet et sa pédagogie. A cette occasion, j'ai dû rechercher, consulter, comparer de nombreux documents peu ou jamais utilisés jusqu'alors.

 

J'ai pensé qu'il fallait approfondir et partager ce qui avait été mis au jour au cours de ces recherches et dont le catalogue de l'exposition ne gardait qu'une infime trace. C'est l'origine de ce livre qui n'a nullement la prétention de se substituer à celui d'Elise Freinet. Il ne veut être qu'un jalon avant la grande biographie que mérite Freinet mais qui ne pourra s'accomplir qu'avec l'accès à ses archives personnelles, aux papiers conservés dans sa famille, ainsi qu'aux dossiers administratifs encore couverts par le secret.

Je tiens à marquer la particularité et les limites de mon travail. Par delà mon réel souci d'objectivité - car Freinet m'a appris que la réalité instruit toujours mieux que le mythe -, je ne cache pas que je porte là un regard personnel, regard de praticien de l'éducation, de familier de Freinet, de militant enraciné au coeur de son mouvement.

Praticien de l'éducation, je m'intéresse principalement aux pratiques réelles de la pédagogie Freinet. Loin d'occulter ou de minimiser les choix idéologiques et les principes théoriques qui les sous-tendent, je ne me cantonne pas sur ce seul terrain que j'abandonne volontiers à ceux qui préfèrent les débats d'idées aux actions quotidiennes. Sans négliger les ouvrages théoriques rédigés par Freinet, je considère pourtant qu'ils sont loin d'épuiser l'étonnante richesse de son initiative pédagogique et de sa démarche militante, auxquelles je m'attache particulièrement parce qu'elles restent porteuses d'avenir. Chaque fois que je le peux, je tiens à montrer et à analyser les actions réelles, plus importantes à mes yeux que toutes les déclarations faites à leur sujet. De plus, j'essaie de retrouver la parole même des enfants à qui il l'a si largement donnée.

Familier de Freinet, j'ai eu la chance, à l'orée de l'âge adulte, de partager quotidiennement son travail et ses préoccupations d'éducateur, d'animateur de mouvement, de responsable d'entreprise coopérative. Mon cas n'est pas exceptionnel (mais le temps qui passe réduit chaque jour le nombre de ceux qui ont vécu auprès de lui); il ne me confère aucun privilège pour parler "au nom de Freinet", tout au plus le devoir de témoigner qu'il n'était pas un personnage abstrait, mais un être de chair et de sang, avec ses qualités et ses défauts. Je crois en effet qu'on ne pourrait, sans le trahir, placer sur un piédestal l'homme qui, le premier, a voulu descendre de l'estrade.

Militant de longue date, j'ai cotoyé les plus anciens de ses compagnons alors qu'ils enseignaient encore. Ensuite j'ai vu, pendant plus de quarante ans, se constituer, génération après génération, les strates successives de son mouvement. Désigné après sa mort comme secrétaire général du mouvement qu'il avait créé, l'ICEM, je me suis trouvé pendant 15 ans, sans son charisme et son génie créateur, devant les mêmes problèmes internes et extérieurs auxquels il avait été confronté. Cela me donne une approche particulière de ses combats et de sa démarche pour les aborder.

Tout en serrant au plus près les faits, je cherche moins à faire preuve d'érudition ou d'exhaustivité qu'à comprendre une évolution qui me semble à la fois significative de son époque et riche d'enseignements pour le temps présent. Je serai amené à contredire certaines affirmations, si souvent répétées qu'elles semblaient être des certitudes. Ce ne sera pas par souci d'originalité mais pour serrer au plus près la réalité. Je cite mes sources afin de permettre à d'autres d'approfondir plus particulièrement les points qui les intéresseront.

J'ai trop de lucidité pour ne pas mesurer l'écart qui sépare l'ouvrage que je suis capable d'écrire de celui que mériterait son sujet. Je me risque à le livrer au public avec l'espoir que ses imperfections même susciteront d'autres recherches venant le compléter, le contester, le prolonger et, un jour, le remplacer. C'est alors seulement que mon but sera atteint et ma tâche accomplie.

L'ouvrage complet comportera des annexes, dont un index thématique et une chronologie. Mais sans attendre que l'ensemble soit achevé, nous avons voulu publier dès maintenant la première partie. Afin d'en faciliter la lecture, un glossaire des sigles et mots particuliers y est inclus.