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La nomination à l'école de Saint-Paul

La nomination à l'école de Saint-Paul

Célestin Freinet, un éducateur pour notre temps

Michel Barré

 

En 1928, Freinet et Elise demandent leur changement pour Saint-Paul. Freinet obtient la classe unique de garçons, Elise qui a été nommée à Vence (à 4 km), faute d'un poste disponible à Saint-Paul, refuse et reste en congé sans traitement jusqu'en 1930.

Quelles sont les motivations de ce changement ? Surtout le rapprochement de la côte qui pose différemment les problèmes de communications. Bien que Bar ne soit pas très éloigné, il fait partie de l'arrière pays grassois. Saint-Paul est tourné au contraire vers la côte que longent la ligne de chemin de fer PLM et la Nationale 7. Freinet pense avec juste raison que cela renforcera son intégration à la vie sociale, syndicale et politique du département et, plus pratiquement, facilitera les expéditions de colis, de revues et de courrier dans toute la France et à l'étranger.

Le village (moins de 400 habitants) ne s'appelle pas encore couramment Saint-Paul-de-Vence. On l'a longtemps dénommé St-Paul-du-Var, bien qu'il ne soit pas riverain du fleuve, probablement parce qu'avant le rattachement de Nice à la France, le Var était le nom de son département. Un village perché, comme beaucoup d'autres en Provence ; des remparts du XVIe, de nombreuses maisons anciennes. Le tourisme n'a pas encore l'ampleur actuelle mais il est déjà présent.

NPP décrit (p. 71) les débuts à l'école de Saint-Paul. Voici ce qu'en dit Freinet lui-même dans le bulletin L'Imprimerie à l'Ecole (IE n° 28, décembre 29, p. 67) : Au premier octobre 1928, nous étions nommés dans notre poste actuel que venait de quitter un collègue malade depuis plusieurs années. Instituteur essentiellement autoritaire, dédaignant et ne respectant pas les enfants, il avait naturellement basé toute discipline sur l'obligation, le contrôle, la compétition - et leurs résultantes : la tricherie et l'hypocrisie. Pour des raisons qu'il est superflu d'exposer ici, les élèves étaient non seulement ignorants de toutes choses, mais leur moralité avait été profondément et totalement faussée. Les habitudes scolaires que nous réprouvons semblaient solidement ancrées chez nos nouveaux élèves, dont la plupart faisaient l'école buissonnière les trois quart du temps. Nous ajouterons à ce tableau navrant que la salle de classe, qui n'avait reçu aucune réparation depuis une vingtaine d'années, était dans un état lamentable : vieux bancs de 2 mètres de long, dont quelques-uns, maladroitement débités en deux par le menuisier du village, basculaient sans cesse sur le plancher bosselé, encriers perdant l'encre, tableaux plus blancs que noirs, manque d'éclairage, armoires vides, balayage presque impossible, etc. Les premiers mois furent, de plus marqués par des batailles continuelles entre élèves, batailles parfois sanglantes auxquelles je dus malgré moi me mêler. (...)

Plus tard, il décrit la population (IE n° 50, p. 171) : Nos élèves sont des fils de fermiers ou de métayers pauvres, italiens ou naturalisés, et qui pratiquement ne sont jamais intéressés à la gestion de la commune. Les véritables indigènes, plus ou moins petits bourgeois, n'ont plus d'enfants. Notre classe est donc, dans le village même, une classe de pauvres, d'exploités et cela pourrait bien éclairer définitivement les réactions scolaires. D'autre part, ces enfants habitent presque tous des fermes isolées, assez éloignées du village et il est impossible de réunir leurs parents autour de n'importe quelle manifestation scolaire : cours d'adultes, cinéma, le soir ou même le dimanche, gratuit ou payant, arbres de Noël... toutes nos sollicitations ont été bien vaines. Les enfants ont compris qu'ils ne pouvaient compter que sur eux-mêmes.

Revenons au n° 28, où il raconte ses premières interventions : La table magistrale était sur une puissante estrade. Nous nettoyâmes cette estrade, à laquelle je clouai quatre solides pieds, et, sur cette table improvisée, trôna, dès le lendemain, notre matériel d'imprimerie. (...) La vie des enfants allait, malgré les heurts et les difficultés innombrables, envahir notre classe (...) mais serait-elle capable d'animer suffisamment notre petit monde? Parviendrions-nous, sans obligation, sans manuel scolaire, sans leçons doctorales, sans récitation de résumés, à remplir convenablement notre tâche, à éduquer et à instruire nos élèves, et à mener peut-être ces quelques garçons si retardés au CEP? Notre confiance était bien grande. Les résultats ont dépassé nos espoirs.