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Le film L'Ecole Buissonnière selon Raoul Faure (Bulletin n°4 des AdF)

À propos de "L'École buissonnière"
par Raoul Faure
bulletin des Amis de Freinet n°4 de décembre 1970

Je ne sais pourquoi l'image de M. Arnaud le vieux maître est si présente en mon esprit. Je le revois au seuil de la classe où il a professé de si longues années, vide des élèves que le jeune Pascal vient de rencontrer et de prendre en mains.

Son regard fait le tour de la salle, depuis la chaire branlante, jusqu'à la porte "des cabinets" puis il vient caresser amoureusement le "Charlemagne" qui fut sa trouvaille pédagogique. Le regard émouvant de ce vieux-maître qui va abandonner son "sacerdoce" a toujours déclenché chez moi un grand élan de sympathie pour cet isolé - qui avec d'autres isolés fit "la République" avec persévérance et avec des "lignes bien sûr" - 10 pour la main pas propre, 10 pour le retard, 10 pour le bavardage. Lorsque fut projeté le film à Grenoble dans la salle de l'Appolo, qui grâce à l'inspecteur primaire Petit fut notre (pour les instituteurs d'abord, pour tous les enfants de Grenoble de classe de fin d'études) à la séance inaugurale, je m'attendais à certaines réactions de la part des maîtres. Et bien sûr, j'entendis répéter: "Pourquoi cette attaque contre des maîtres qui ne pratiquent pas les méthodes modernes?". Tous se sentant particulièrement visés, les uns pour leur excès de "disciplines" les autres par "le rassotage" dont étaient victimes leurs élèves.

J'ai bien fait projeter une cinquantaine de fois l'Ecole Buissonnière, devant les enfants et des adultes tant en France qu'en Italie (où grâce au Centre d'Études Français de Milan j'ai pu l'introduire clandestinement et le projeter en séance privée).

Toutes ces projections (je ne parle pas de celles que j'ai pu voir dans les salles publiques) furent conduites comme des réunions de Ciné-Club, et j'ai pu recevoir et recueillir beaucoup d'impressions sincères.

J'étais prêt à "réceptionner" le film longtemps avant sa parution. Freinet m'avait parlé de cette amie qui avait invité Le Chanois à s'inspirer de la vie de Freinet pour faire un film. Le Chanois s'était documenté, avait travaillé en accord avec Élise... qui a dû fournir le synopsis, puis un an, deux ans... plus tard... peut-être, je ne sais plus, une petite note dans la chronique cinématographique d'un journal m'apprit que des enfants sous la direction de Le Chanois jouaient à l'école buissonnière dans les torrents de la Côte.

C'était le moment des rencontres de Vence où le soir, sur le toit de l'école longtemps après le coucher du soleil, nous échangions nos idées, j'en parlais à Freinet, je devais être un des rares camarades à être au courant des projets de Le Chanois car il me semble que tout le monde fut étonné d'apprendre "le tournage".

Freinet me donna de nombreuses précisions, il n'était pas trop chaud certes pour l'histoire d'Amour de Pascal et de la soeur d'Albert, mais satisfait dans l'ensemble, et c'est ainsi que j'appris aussi que le film se terminait par un beau morceau d'éloquence sur la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen. Cela me laissa rêveur... Tu verras c'est bien ... c'est beau...

En effet, ce fut beau et émouvant. Je ne veux pas raconter le film, ceci n'est pas mon propos.

Pourquoi cette histoire de baiser dans l'étable toute chaude de la senteur des vaches qui ruminent. Parce que Le Chanois que j'ai rencontré plusieurs fois, avec qui j'ai présidé des séances de discussions, "à Brest" à côté de notre ami Thévenot, à Grenoble lors d'une première "Par dessus le mur" en présence de Sylvia de Montfort, parce que Le Chanois est un cinéaste qui aime la vie, les réalités et qui construit ses films pour que ceux-ci apportent avec eux une joie simple, bon enfant, mais joie profonde parce que... la vie étant la vie, il préfère chaque fois que le mot "fin" se projette sur l'écran laisser le spectateur dans l'euphorie d'une soirée agréable (ceux qui ont vu Mandrin savent bien qu'il ne finit pas sur la roue à Valence).

Il y a donc une petite histoire d'amour parce que comme le dit Anatole France dans "la Révolte des Anges" en titre du 3è ou 4è chapitre (je cite à peu près ma mémoire n'est pas précise, mais elle est assez fidèle à l'esprit) "où il est parlé d'Amour, ce qui plaira au lecteur, car une histoire sans Amour est comme boudin sans moutarde, c'est chose insipide".

D'ailleurs, cette histoire d'Amour est-elle si inutile... Elle crée un complexe chez Albert ce qui sera pour Pascal une difficulté de plus à surmonter pour réussir là où le Vieux Maître Arnaud a échoué. Puis n'est-ce pas cette petite histoire qui éveille la jalousie de la collègue.

D'ailleurs, cela n'a jamais été reproché par les enfants dont l'opinion pour moi compte davantage que celle des maîtres. Les enfants sont sensibles à l'histoire de ce village "cancanier'', sensibles à la vérité des personnages présentés, sensibles, à l'atmosphère d'une classe en plein travail actif, sensibles aux "méchancetés" de l'Albert solitaire du début, réjouis de sa réussite malgré... l'examinateur malveillant.

Et comme toujours à la fin du film dans une discussion avec les enfants, nous faisons le tour de l'histoire, de l'action, de la façon dont elle est présentée et nous portons un jugement sur les personnages, puis nous classons les hommes, les enfants. Pour cela pas d'hésitation.

Albert et Pascal sont les héros du film.

Puis viennent les gens sympathiques, ceux que l'on aime pour leur courage généreux. Unanimité pour le coiffeur, il a pour lui tous les suffrages.

Unanimité contre l'antiquaire et contre les novateurs; et ce sera peut-être une surprise pour beaucoup, "On aime M. Arnaud, le vieux maître, il a peut-être été sévère, mais il a été juste... et son Charlemagne n'était-ce pas le commencement de l'école active". Celle qui nous tentait à la fin de la guerre lorsque nous parlions de collection d'images, pour l'enseignement vivant, collection d'images qui bien connues, bien étudiées, bien comparées avec des paysages vivants constituent la base d'un enseignement efficace de l'histoire de la géographie, de la zoologie. Que sais-je? C'est en respectant le vieux maître qui aimait son métier et ses élèves, c'est en continuant... la révolution de Pascal... toujours dans le sens de la vie véritable, des possibilités qu'elle donne à l'éducateur de faire oeuvre efficace et dynamique, que nous sommes fidèles à "L'école buissonnière" la pédagogie de mon ami Freinet.

En définitive, faites connaître le film de Le Chanois, Freinet l'a toujours considéré comme sincère et fidèle à sa pédagogie, malgré son déroulement "commercial!" C'est d'ailleurs un authentique chef d'oeuvre. Ceci fait passer cela.

Grenoble
2 octobre 1970
Raoul Faure

 

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