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l'art enfantin aux Costes-Gozon (Aveyron) n°1 de la revue art enfantin

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l'art enfantin aux Costes-Gozon (Aveyron) n°1 de la revue art enfantin
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l'art enfantin aux Costes-Gozon (Aveyron) n°1 de la revue art enfantin

  Marie-Louise et Pierre Cabanes ont écrit dans le premier numéro  d'art enfantin de 1962 ce beau texte. Sont également parus dans ce premier numéro deux dessins en couleurs des enfants de leurs classes : Paysage de Alain Hèbles (9 ans)  et Crèche de Armande C. (8 ans)

SUR LE CAUSSE

L’école des Costes-Gozon

 

Il semble assez surprenant qu'une petite école de village, perdue dans les Causses dénudés, ait le privilège d'ouvrir les bans pour présenter son expérience artistique dans ART ENFANTIN. Cet honneur qui nous est fait ne sanctionne pas - nous en sommes certains - des mérites exceptionnels. Nous sommes là, simplement pour apporter la preuve que, jusque dans des conditions de milieu les moins favorables, l'enfant peut s'éveiller tout naturellement à l'expression artistique, pour peu qu'il y soit invité.

 

Rien chez nous n'incline l'enfant à devenir artiste ou poète, dans ce terroir rugueux dans sa géographie comme dans sa population. Nous sommes ici au pays des obligations paysannes qui ne laissent pas de répit. Rien n'y rend l'enfant subtil et communicatif, si ce n'est la nature, qui sait atténuer son austérité par les beautés renouvelées de ses saisons. Les enfants qui se rendent à l'école font de longs trajets à travers les garrigues ou les champs cultivés. Ils s'imprègnent des richesses sans cesse changeantes de leur terre et des mystères de ses vies multiples. Il est normal que, limités comme ils le sont par l'expression rare et maladroite de ceux qui ne sont pas communicatifs, ils fassent revivre leurs émotions par la couleur qui, elle, sait rester fidèle à la sensation recueillie.

 

Les tout-petits, du reste, y excellent sans arrière-pensée. Ils inventent à chaque coup des palettes surprenantes à propos de tout et de rien, même du tracteur vrombissant qui vient rompre la paix champêtre et le recueillement de notre solitude.

 

Vient ensuite un stade plus nourri de vraisemblance où l'enfant sent que, déjà, il a des comptes à rendre à la réalité. Les objets, les paysages sont peints pour eux-mêmes, pour leurs mérites. Ils sont simplement embellis par la somptuosité de couleurs que l'on veut les plus belles possibles, parce qu'elles donnent les plus grandes joies.

 

Peu à peu, l'adolescent semble se retirer de cette emprise des beaux paysages, appelé qu'il est par le travail et le sérieux qu'il exige. Il devient de jour en jour un maillon de la chaîne qui besogne dur pour que l'on puisse vivre. Il s'essaye alors à des oeuvres plus réalistes dans lesquelles le facteur social et humain prend le pas sur la jolie chose gratuite.

 

Ce sont ces trois étapes de la vie poétique de nos enfants que nous avons tenté d'exprimer avec la collaboration de nos élèves, dans le texte qui suit. Il est né de nos réflexions en regardant défiler le film de nos oeuvres passées et présentes. Il vous apportera notre sincérité à tous, mais ne vous donnera aucune recette, car nous ne savons pas bien nous-mêmes comment nous en sommes arrivés à ce moment favorable où chacun a quelque chose à dire. Peut-être en le lisant, arriverez-vous à pressentir pourquoi dans nos Causses - encore bien à l'écart de la civilisation - les petits paysans peuvent avoir une âme de poète et d'artiste et, par cette faveur si patiemment gagnée, être heureux de vivre et confiants dans leur destinée.

 

M. - L. et P. CABANES.

 

I.- « Bleu du ciel, rouge violacé de la glèbe, rouge d'un frais labour, vert profond d'un taillis de chênes ou gris vert des genévriers, roux d'un blé lourd, rochers d'argent où jouent des violets et des bleus, l'écarlate d'un champ de coquelicots, les reflets du soir qu'ont pris au ciel d'automne les chardons du Causse, et ces gris, ces gris doux comme une fourrure, durs comme un métal frais rompu...

 

C'est ainsi que nous voyons notre pays, nous, qui nous en allons à travers les saisons, entre les aubépines en fleurs, dans l'or des genêts, sous la pluie rose de l'églantier qui fane ou les carmins et les roux de l'arbre qui s'effeuille...

 

Une feuille blanche un pinceau... des couleurs…

 

Et, sur la feuille, sont ressuscités le ciel bleu, l'arbre vert, la fleur rouge ou blanche, l'enfant qui la cueille, l'oiseau qui s'envole... rose, or, mauve comme le rêve du matin, de midi et du soir...

 

Du rêve que l'on fait quand de petits pieds courent, au milieu des bêtes et des plantes, vers la maison ou vers l'école, quand on est seul, quand on est libre, quand on veut oublier les premières obligations de la Vie... quand on est un petit enfant émerveillé par la création entière.

 

II. - On ne pourrait le raconter, son rêve ! avec les pauvres mots de tous les jours, et on aime si peu parler !

 

Mais, bouche close, une conscience profonde des paysages entrevus renaît dans une palette : les couleurs captent des morceaux de vie et les retiennent, agrandis d'un émerveillement qui n'a su s'exprimer par des notes ou des chansons,

 

Page blanche... pinceaux... couleurs...

 

Ce rouge chante comme la fleur, miraculeusement poussée sur la lande stérile, Ce bleu a la profondeur de la mare dans l'ombre des grands arbres touffus ; ce mauve du soir s'accroche au peuplier de la gorge, aux bruyères des sommets, aux plis secrets de la colline.

 

C'est le moment de notre dixième année, peut-être le plus joyeux moment de notre enfance. Nos dessins disent notre bonheur et chantent notre joie. Nous les trouvons toujours beaux, toujours nouveaux. Personne ne pourrait nous enlever ce pouvoir merveilleux de représenter les plus belles images de notre vie de tous les jours.

 

III. - Mais, plus tard... quelques années plus tard ...

 

Le rêve renaît-il avec notre adolescence plus sérieuse à cause du travail, qui déjà nous domine ?

 

Page blanche... couleurs... pinceaux...

 

L'enfant insouciant est devenu le grand garçon ou la grande fille, qui déjà apporte à la ferme la force de ses bras le secours de sa bonne volonté, le souci de son avenir.

 

Quel métier allons-nous choisir ? Ca commence à nous tracasser, car nous ne pouvons vivre tous sur le petit domaine de nos parents. Il nous faut d'abord faire travailler nos mains. Si nous rêvons, c'est en secret et dans nos rêves nous voyons toujours celui qui travaille : le paysan, le berger, le vigneron, la lavandière, car nous savons que la vie doit être gagnée.

 

Et nous peignons les portraits des braves et bonnes gens de chez nous. Nous ne cherchons pas à les faire beaux, mais tels que nous les voyons, que nous les sentons. Ils portent la marque de leurs peines, le souci de leurs devoirs. Et quelques fois apparaît le doux visage de la jeunesse qui nous redonne confiance en l'avenir.

 

Ecole des COSTES-GOZON.